Intervention de Philippe Martinez

Intervention de Philippe Martinez
au 75e anniversaire du massacre à Châteaubriant

Mesdames, Messieurs, chers amis, chers camarades,
Nous sommes réunis aujourd’hui pour rendre hommage aux 27 camarades tombés sous les balles allemandes à Châteaubriant le 22 octobre 1941.


A travers eux, ce sont toutes les femmes et tous les hommes qui entrèrent en résistance, c’est-à-dire qui refusèrent de se plier au nouvel ordre hitlérien ou vichyste, que nous célébrons aujourd’hui.
Résister. A l’origine de ce mot, il y a l’idée de « se tenir en faisant face », ou encore celle de « tenir tête ». Nos camarades assassinés à Châteaubriant étaient de ceux qui « savent conjuguer le verbe résister à tous les temps », pour reprendre une formule chère à notre camarade Georges Séguy, résistant lui-même et disparu récemment. Avec courage, ces hommes et femmes d’engagement se sont dressés contre ceux qui voulaient anéantir leurs idéaux, leurs espérances.
Il y a un an, ici même, je soulignais la dette qui était la nôtre vis-à-vis de ces militants exemplaires.
C’est cette dette qui motive notre présence aujourd’hui et qui nous pousse à oeuvrer pour que ne s’effacent pas des mémoires qui étaient ces camarades et quel était le moteur de leur engagement.
Réaffirmons-le d’emblée : la CGT n’acceptera jamais que soit effacée ou tronquée cette histoire. J’en prends une nouvelle fois l’engagement ferme devant vous.

Mais travailler contre l’oubli ne suffit pas. Il y a un autre impératif, qui nous oblige tout autant, certainement davantage encore.
Cet impératif, Guy Môquet le formule en toute fin de la lettre qu’il adresse à ses parents juste avant d’être assassiné. Vous connaissez probablement cette dernière phrase : « Vous tous qui restez, soyez dignes de nous, les 27, qui allons mourir ! ».
Oui, soyons dignes d’eux ! C’est une obligation morale.
Comment ? En poursuivant le combat qui a été le leur, celui qui a occasionné leur sacrifice.
Car, hélas ! – nous ne pouvons d’ailleurs que le déplorer – ce combat n’est pas mort. La « bête immonde » est bien vivante. Chaque jour un peu plus, elle gagne en force et menace.
Ce monstre, rappelons-le, est né dans l’entre-deux-guerres. Il est le détestable fruit des souffrances durables nées du premier conflit mondial, de la crise économique des années 1930 et des nombreux scandales de la République de l’époque. Dans ce terreau fertile, les
forces réactionnaires et nationalistes prennent leur essor et s’appuient sur un antisémitisme, un anticommunisme et un anti-républicanisme virulents. Une extrême-droite conquérante bouscule alors le paysage politique des années 1930. Les succès de Mussolini en Italie et d’Hitler en Allemagne autorisent toutes les ambitions. Aux côtés de l’Action française et des anciennes ligues nationalistes et antisémites nées au moment de l’Affaire Dreyfus émergent d’authentiques partis fascistes comme le Faisceau de Georges Valois ou le Parti populaire français de Jacques Doriot. Je pourrais parler également des Croix de Feu du colonel de la Rocque qui battent régulièrement le pavé, et de bien d’autres encore. Ce mouvement connaîtra un aboutissement : Vichy et la révolution nationale.
Vous savez quelles conséquences cela aura.
C’est contre cette vague de fond que se sont battus nos 27 camarades assassinés à Châteaubriant.

Tous avaient en mémoire, et en tiraient d’ailleurs très certainement fierté, l’union des forces de gauche rendu possible face à la menace fasciste lors de la brève expérience du Front populaire. La CGT fut dès le 12 février 1934 aux avant-postes du combat antifasciste. Réunifiée en mars 1936, elle prit une part active, malgré les atermoiements gouvernementaux, dans la défense de la République espagnole agressée par une coalition fasciste.
L’histoire n’a pas manqué de le démontrer. La haine de l’autre, « la France aux Français », a la fâcheuse tendance à réapparaître au moment des grandes crises. Ce fut le cas dans les années 1930, nous l’avons vu ; avant cela, ce fut aussi le cas avec le Boulangisme ou au moment de l’affaire Dreyfus ; après la Seconde Guerre mondiale, cette haine de l’autre s’exprima avec intensité pendant la décolonisation. On le voit bien, notre histoire est rythmée par ces périodes difficiles, souvent ponctuées d’événements dramatiques, au cours desquelles « un nationalisme fermé », pour reprendre l’expression de l’historien Michel Winock, celui du repli sur soi, « présente ses successifs avatars comme un remède ». C’est la peur qui domine ces moments, l’affrontement identitaire, l’obsession de la décadence et du complot. La nation doit alors éliminer les intrus : juifs, immigrés, révolutionnaires, francs-maçons, etc. Il faut nettoyer la France de ce qui fait sa diversité, sa richesse.
Nous vivons actuellement une crise majeure, qui a plusieurs facettes : économique, sociale, écologique, démocratique, etc.
Cette crise profonde, le capitalisme en est le principal responsable.
Pour masquer ses responsabilités, l’oligarchie capitaliste ne lésine pas sur les moyens.
Elle a ainsi mis en scène le fameux « choc des civilisations ». En effet, la guerre froide achevée, il fallait trouver un nouvel ennemi pour l’Occident. Ce nouvel ennemi, c’est le musulman.
Celui-ci trouvé, il convient de braquer sur lui tous les projecteurs.
La crise s’aggravant, une sorte de paranoïa collective nourrie par une obsession de l’étranger peut dorénavant s’installer. C’est ce que nous vivons aujourd’hui.
Triste répétition de l’histoire.

L’emballement actuel d’aujourd’hui est saisissant. Ainsi, nous serions face à des hordes de migrants envahissant les rues de nos villes et de nos villages. Ainsi, le port d’un maillot de bain, le fameux « burkini », menacerait le pacte républicain. A la télé, à la radio, dans la presse, ce discours est martelé jusqu’à la déraison.
Le contexte est favorable pour que surgissent de nouveaux « monstres ».

En Europe, droite et extrême-droite se disputent le terrain de la xénophobie et de l’ordre moral. L’offensive politique est manifeste, si puissante qu’elle n’épargne même pas la gauche.
En Hongrie, en Belgique, aux Pays-Bas, en Suède et dans bien d’autres pays européens, on observe la montée et la banalisation d’organisations populistes xénophobes et nationalistes.
En France, le Front national est né de la crise des années 1970. Cette crise ne faisant que s’accroître, le FN a lui aussi étendu son influence. Ces dernières années, il a montré une étonnante capacité d’adaptation. Il faut reconnaître que ses principaux dirigeants peuvent multiplier les tours de passe-passe, sans ressentir trop de gêne. En l’absence de doctrine cohérente, ils sont capables de soutenir tout et son contraire.
Ce qui caractérise avant tout le FN, malgré la dédiabolisation entreprise et la volonté de le rendre « républiquement compatible », ce sont ses discours sur l’identité nationale et sur la préférence nationale. Le rejet de l’autre domine la pensée frontiste.
Pourtant, l’entreprise de séduction est puissante. Le FN séduit, et de plus en plus largement, jusque dans nos rangs Il énonce des idées simples, souvent simplistes d’ailleurs, qui plaisent dans la période socialement difficile que nous traversons. Sur la question sociale, il n’hésite pas à puiser dans nos propres cahiers revendicatifs.
Le FN se définit lui-même comme « un parti national et social », ce qui n’est pas sans rappeler la définition que donnait Jacques Doriot au milieu des années 1930 de son parti, le Parti populaire français.
Un écho bien désagréable.
Marine Le Pen veut le pouvoir, elle y croit fermement et, dans ce but, construit son chemin avec habilité.
Non ! – soulignons-le une nouvelle fois – la « bête immonde » n’est pas morte.
Aujourd’hui, comme hier, il faut combattre le nationalisme autoritaire et démagogique porté par l’extrême-droite.
La CGT a ce combat dans son ADN. Ses principes nternationalistes et de solidarité entre les travailleurs ont été le moteur d’une lutte menée de longue date. Son expérience antifasciste, héritée des combats de l’entre-deux-guerres et des années noires, est réelle.
Cette montée des extrêmes doit faire l’objet d’une analyse critique rigoureuse et être combattue sans relâche.
Non ! Il ne doit y avoir aucune place pour le racisme, la xénophobie et le chauvinisme dans nos sociétés.
La CGT a relancé en 2014 une véritable campagne contre les idées nauséabondes de l’extrême droite et contre l’influence qu’exerce le Front national, notamment sur les salariés.
L’histoire montre que l’extrême droite a souvent pris en compte, à fin d’instrumentalisation, les difficultés sociales pour élargir son audience auprès des travailleurs. Cela entre dans sa stratégie de conquête.
Mais ces idées extrêmes ne sont pas portées par le seul front national et les attaques voire les insultes fusent également contre le syndicalisme et singulièrement contre la CGT, rendue responsable de tous les maux. Ses militants sont réprimés, licenciés, traduits devant les tribunaux et menacés de prison. Le capital a toujours eu des ressources et des alliés pour fuir ses responsabilités et diviser le monde du travail.

On a beau dire que l’histoire ne se répète pas, notre combat doit donc s’accentuer. Il est essentiel et fait de nous les dignes héritiers de nos 27 camarades assassinés, ici-même, il y a soixante-quinze ans.
J’observe, dans l’assistance d’aujourd’hui, de nombreux jeunes ; de jeunes militants mais aussi des scolaires. Nous comptons bien entendu sur cette jeunesse pour mener ce combat. Elle est une principale des victimes de la crise.
Mesdames, Messieurs, chers amis, chers camarades,

Je tiens à remercier les animateurs de l’Amicale Châteaubriant-Voves-Rouillé-Aincourt pour leur persévérance et toute l’énergie qu’ils déploient pour organiser cet événement et faire vivre la mémoire de ce qui s’est passé ici.
Que le souvenir des 27 continue d’imprégner notre action militante, et qu’il nous aide à construire un monde futur plus juste, plus humain.
Je vous remercie.

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