Hommage aux ouvriers du Livre parisiens

Du 4 mars 1975 au 16 août 1977, trente mois de conflit :

la grève du  » Parisien libéré »

 

En mai 1975, Emilien Amaury, patron du journal le Parisien libéré, liquide son imprimerie de la rue d’Enghien à Paris. C’est un grand patron de presse, il possède outre le Parisien libéré et ses éditions régionales, l’Equipe, le Courrier de l’Ouest, le Maine libre, France football, le Miroir des sports, Carrefour, Marie-France, la France agricole, Aviation magazine, des régies publicitaires et des biens immobiliers colossaux. Dans les années 1960, c’est un empire qui compte une soixantaine de sociétés.

Débuts de la modernisation

Mais la fabrication d’un journal évolue vite et le procédé offset s’impose pour remplacer la fabrication typographique en plomb. Les rotatives parisiennes datent des années 1920 et 1930;  la modernisation et l’évolution technologiques étaient inéluctables autant que nécessaires. Amaury cherche à se débarrasser des ouvriers du Livre pour imprimer son journal sans eux et appliquer des conventions collectives inférieures à celles en vigueur.

Ainsi il n’y a rien d’improvisé dans ce passage en force : il a commandé de nouvelles rotatives aux Etats-Unis, recruté du personnel par un ami, le secrétaire de Force ouvrière. Et dès le 6 mars, il tente de faire paraître son journal en France, puis en Belgique et, enfin, battant tous les records d’installation, en démarrant son imprimerie à Saint-Ouen le 9 juin. Débutent alors pour les ouvriers du Livre les actions de résistance aux parutions « pirates » et les célèbres « rodéos » (jargon syndical) contre les imprimeries concurrentes.

Malgré les renforts des forces de l’ordre et de répression, les ouvriers du Livre tous métiers confondus empêcheront la parution du journal par des moyens expéditifs, en bloquant les camions et en détruisant les numéros du Parisien libéré. Actions dangereuses, un des camarades y perdra la vue, victime d’un tir de grenade lacrymogène à bout portant par un policier, lors d’un contrôle d’identité. Un collectif d’avocats bataillera pour sortir de prison les ouvriers qui se faisaient arrêter.

Pour le Comité intersyndical du livre parisien, il est important que tous les ouvriers de presse soient unis et impliqués dans le conflit. Il est décidé qu’ils verseront 10% de leur salaire, tous les mois, pour assurer le salaire de leurs camarades du Parisien.

Le 9 juin 1975, les premiers exemplaires du Parisien libéré sortent des rotatives de Saint-Ouen, les adhérents de Force ouvrière ont fait tourner les machines. Des barricades sont dressées dans la rue avec des bobines de papier!

La commission des loisirs

Sur le modèle des manifestations spectaculaires de 68, une commission dite commission des loisirs est créée pour organiser et populariser la lutte : occupations de la Bourse de Paris, de Notre-Dame, de la Porte Saint-Denis, de la cour du Palais-Bourbon, de l’émission Grand Echiquier, du conservatoire des Arts et Métiers, du paquebot France; manifestation à Saint-Etienne, et pendant le Tour de France.

Il y eut des manifestations colorées, déguisées, à vélo, en voiture à contresens des Grands-Boulevards, des débats, des éditions du Parisien libéré grève, des rencontres dans tout le pays, des concerts, des matchs de foot, un livre…

Le  5 décembre 1976, après dix-huit mois d’occupation, les véhicules anti-émeutes cernent le quartier du 10e arrondissement et les bulldozers enfoncent les barricades. Le lendemain, 6 décembre, toutes les entreprises de presse à part le Parisien libéré sont en grève pour vingt-quatre heures, et une manifestation monstre à l’appel de la CGT, de la CFDT et de la FEN remonte les boulevards de la République à l’Opéra. Beaucoup de salariés se mettent en grève spontanée en soutien aux ouvriers du Livre.

Signature d’un accord en 1977

Cependant les négociations syndicales continuent, après la chute mortelle d’Amaury, et le 12 juillet 1977 un protocole d’accord est conclu entre les deux parties. Le 16 août 1977, l’accord est ratifié et signé par le ministre du Travail. Sur 650 ouvriers du Livre au Parisien libéré, 110 ont rejoint l’imprimerie de Saint-Ouen pour des salaires bien inférieurs au niveau conventionnel parisien et près de 200 ont été embauchés aux NMPP (Nouvelles messageries de la presse parisienne).

Amaury tout comme Margaret Thatcher en Angleterre voulait moderniser ses entreprises, passant du plomb à l’offset, se débarrasser des ouvriers du Livre et embaucher des non-syndiqués. Les ouvriers anglais refusaient obstinément d’abandonner le plomb, mais la Dame de fer n’était pas une philantrope.

Par ses formes de lutte, l’engagement et la solidarité qu’il a fait naître ce conflit a marqué profondément toute une profession, les militants du Livre parisien mais également le mouvement ouvrier. Entre Lip et la sidérurgie lorraine, le Parisien libéré se place aux côtés des luttes emblématiques de la fin du XXe siècle.

(Reprise de l’article de Marc Norguez, dans l’Humanité des 27, 28 et 29 mars 2015; et du livre de Bernard Dubois en accès libre sur Internet, Juste une mise au poing, remerciements fraternels).

 

 

 

 

 

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