La santé n’est pas une marchandise

Lettre au maire de Cosne-Cours-sur-Loire au sujet de l’hôpital public

Yves Arnaud, ancien conseiller municipal de Cosne pendant treize ans, écrit une lettre au maire, Michel Veneau,

et à son conseil municipal.

M. Arnaud Yves, le 10 janvier 2020

M. Veneau Michel,
maire de la ville, et son conseil municipal,
58200 Cosne-Cours-sur-Loire,

Monsieur le Maire,
Mesdames, Messieurs les Conseillers municipaux,

Notre santé n’est pas une marchandise, mais un bien commun précieux, sur lequel les élus que vous êtes et que j’ai été ont pour mission de veiller.
En 2008, le déménagement des services de l’hôpital public dans les locaux de la clinique privée à but lucratif était présenté comme la seule solution permettant à la fois de sauver la clinique de la situation difficile dans laquelle elle se trouvait et préserver l’offre de soins sur Cosne. Ce qui se passe aujourd’hui illustre toute la clairvoyance de celles et ceux qui s’opposaient au rapprochement public/privé et proposaient un pôle public de santé.

Pérenniser l’offre de soins sur le secteur

Je ne suis plus cosnois, pour autant je reste attentif à la vie et l’actualité de cette ville. Elu P.C.F., j’ai siégé treize années au conseil municipal, durant lesquelles je n’ai pas manqué d’intervenir modestement particulièrement sur les questions de santé. J’ai participé à de nombreuses mobilisations aux côtés de salariés, de retraités pour l’emploi, la santé… avec la CGT et le Collectif Urgence pour la Santé. Nous proposions de développer l’hôpital public avec tous les services nécessaires à la population, pour pérenniser l’offre de soins sur le secteur. Toutes nos actions ont été soutenues et relayées avec ténacité par de nombreux citoyens (élus de sensibilités diverses, syndicalistes, populations…) au conseil municipal et dans la vie quotidienne.
Sans esprit polémique, je vous fais part de mon indignation face à ce nouveau drame humain « évitable » plongeant les personnels soignants et la population dans un très grand désarroi. Avec lucidité j’affirme que cette catastrophe n’est pas fatale, elle est liée à des orientations et choix politiques. Elle plonge ses racines dans une politique des pouvoirs publics finalement anti-santé publique, de privatisation, dans une stratégie tournée exclusivement vers des objectifs financiers.

Novembre 2019, décision de l’ARS

Au vu du contenu de la décision de l’ARS de novembre 2019, portant sur les suspensions des activités de chirurgie et de stérilisation de la clinique (1), il est clair que le groupe Kapa Santé n’a rien fait pour répondre aux nombreuses injonctions qui lui étaient faites depuis plusieurs années.
Depuis plusieurs décennies la santé sur le secteur de Cosne mais aussi sur tout le territoire a été rythmée par des réformes successives (plan Hôpital 2002-2007, loi Bachelot en 2008) dont l’objectif était le démantèlement du service public hospitalier. Pour illustrer mon propos, des exemples :
 1991 : La maternité de l’hôpital qui donnait entière satisfaction est fermée et transférée à la clinique (circulaire Claude Evin).
 1995 : Fermeture de la chirurgie de l’hôpital.
 2001 : La clinique se trouve en situation délicate. Elle est reprise par un grand groupe.
 2002 : Rachat de la clinique par Sphéria.
 2007 : Cession de la clinique pour 1 euro symbolique à la holding Saint-Gatien.

 2008 : Mise en redressement judiciaire de la clinique. Réduction du nombre de lits, suppression de 46 postes par Saint-Gatien.

En 2009, la loi « Hôpital, patients, santé, territoires » (loi Bachelot) vient aggraver la situation de l’hôpital public par la recherche d’une rentabilité accrue, le transfert des dépenses sur les ménages… Cette loi organise le transfert massif des activités hospitalières publiques vers le privé et le médico-social. Tous les outils sont fournis pour fermer, concentrer, fusionner aux dépens de la qualité et de la proximité, rendant plus difficile l’accès aux soins. C’est ce qui s’est produit à Cosne avec le rapprochement clinique/hôpital en transférant les services de médecine, urgences de l’hôpital dans les locaux de la clinique. C’était, ni plus, ni moins, subventionner avec des fonds publics le redressement de la clinique en situation financière critique. Cela est confirmé dans le rapport de la Cour des comptes adressé à Madame Buzyn, le 26 mars 2019, dans son paragraphe concernant la clinique de Cosne.

Déménagement

Déménager les services de médecine, les urgences de l’hôpital dans les locaux de la clinique c’était prendre un risque grave pour la santé en cas d’une nouvelle défaillance de la clinique privée. La majorité municipale de l’époque présentait dans Cosne Magazine d’avril-mai 2009 ce repreneur comme un groupe sérieux !
Les représentants de l’Agence régionale de santé, le directeur de l’hôpital ont aussi joué un rôle prépondérant. Les deux établissements (hôpital, clinique) devaient être gagnant/gagnant. C’est perdant sur toute la ligne. Belle conception du service public « vache à lait » du privé !
En ce qui concerne la radio, l’hôpital était doté d’un service fonctionnant 24h/24h et 7 jours sur 7 avec ses personnels propres et un matériel de qualité récent. A la demande expresse de Kapa-Santé, l’ARH a sacrifié ce service et ordonné sa fermeture le 10 décembre 2011.
Nombreux ont été ceux qui voulaient connaître la vérité sur les conditions de reprise de la clinique par le groupe Kapa Santé, à s’interroger sur la position du maire de l’époque et du député dont le groupe au Parlement s’opposait à cette loi de Madame Bachelot. Kapa Santé a su en profiter pour racheter un nombre important de cliniques en difficultés de villes moyennes. Ces rachats étaient conditionnés par des conventions public/privés.

Débats publics

Les débats publics organisés par le collectif Urgence pour la santé et la CGT, les écrits, les interventions dans les conseils municipaux à Cosne et ailleurs, les pétitions, ont été nombreux. Au-delà de leurs différences, un très grand nombre de personnes d’horizons politiques différents, voire sans engagement politique, se retrouvaient sur un objectif commun : la défense et développement d’un pôle de santé public pour le bassin cosnois. L’argent public devait financer le service public et non des requins de la finance.
Toutes les alertes sur les méthodes de Kapa Santé dans les autres reprises de cliniques, ont été traitées par le mépris. Personne ne peut dire dix ans après « qu’ils ne savaient pas… Exprimer des regrets… Reconnaître des erreurs ». Chacun a eu entre les mains les éléments essentiels pour s’informer (courriers, accord-cadre) des dangers que faisait courir au pôle de santé cosnois ce rapprochement. Certains ont fait le choix de soutenir les services privés contre le service public et les détourner de leur finalité initiale pour les mettre à disposition du patronat et de la finance. Aujourd’hui c’est l’ensemble de l’offre de soins sur Cosne qui est en perdition !
Il est insupportable de lire dans la presse les déclarations des soutiens d’hier à ce rapprochement le présentant « comme miraculeux » en 2009 et qui ont tout fait pour passer en force.
J’ai appris que plusieurs repreneurs sont en lice, qu’une convention venait d’être passée le 23 décembre entre la ville de Cosne et un prestataire rémunéré à hauteur de 14 400 € TTC pour des missions de conseils et d’assistance dans la recherche d’investisseurs et que la Collectivité sacrifie la culture pour sauver la santé massacrée par les choix du privé et les orientations de l’Etat.

Fonds publics versés à la clinique du groupe Kapa Santé ?

En 2020 aucune leçon n’a donc été retenue! On ne peut jouer indéfiniment avec l’argent des contribuables et la vie de la population. Cette schizophrénie de l’action publique est bien mal venue. Que sont devenus les fonds publics versés à la clinique du groupe Kapa Santé ? Cet argent doit désormais aller à l’hôpital public pour lui permettre de se porter repreneur des activités et du personnel de la clinique. C’est la seule piste à même de garantir à la population un accès pérenne à des soins de qualité et de proximité. Elle dépend en grande partie de votre volonté politique.
Je sais vos oreilles attentives et je souhaite qu’après les échecs coûteux des pistes privées, vous choisissiez de construire la réponse publique. C’est la seule capable de garantir la pérennité de l’offre de soins, de ne pas être remise en question à tout moment par un choix des actionnaires. Les moyens existent. Il suffit de rendre à la Sécurité sociale les recettes qui lui reviennent. Les exonérations sociales et niches fiscales représentent un manque de recettes pour la Sécurité sociale de 90 milliards d’euros, selon la Cour des comptes. Alors que tout l’hôpital est très malade et soumis à des cures d’austérité, il y a de quoi financer la santé, la retraite comme toute la protection sociale.

Veuillez agréer, Monsieur le Maire, Mesdames, Messieurs les conseillers municipaux, l’expression de mes respectueuses salutations.

M. Arnaud Yves.

(1) Recueil des actes administratifs spécial n° BFC, 2019-128 – pages 20 à 24.

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